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Psaume 137 (136) 1 - 6
 Psaume d’entrée dialogué    O = Officiant A =Assemblée

O  Près des fleuves de Babylone étaient nos habitations
A    Et nous étions en pleurs, en nous souvenant de Sion
O  Nous avions suspendu nos lyres aux saules du lieu
A    Car nos bourreaux voulaient qu’on chante des airs joyeux !

O  Ceux qui nous avaient emmenés en captivité disaient :
A    « Chantez quelques-uns de vos chants de pèlerinage ! » 
O  Je veux plutôt que ma langue s'attache à mon palais
A    Qu’interpréter un chant du Seigneur pour ces personnages.

O  Chanter un chant du Seigneur sur une terre étrangère ?
A    Jamais ! Et que ma main droite m'oublie dans la misère
O  Si je laisse s’éteindre le souvenir de Jérusalem
A    Si je n'élève au sommet de ma joie ... Jérusalem.    
 
Psaume 137 Commentaire du Psaume
Le psaume 137 (136) est l'un des psaumes les plus connus du livre des psaumes. Il est le seul des 150 psaumes à évoquer l'exil à Babylone qui a suivi la prise de Jérusalem par le roi de Babylone Nabuchodonosor en 586 av. J.-C. Selon la tradition rabbinique, il a été écrit par le prophète Jérémie. Ce psaume est appelé en latin Super flumina Babylonis. Il a été mis en musique à maintes reprises et se retrouve aussi dans la littérature. 


Un psaume célèbre mais difficile 
Le psaume 137 est sans doute un des poèmes les plus prenants de la littérature biblique, mais aussi un des plus difficile à lire, surtout si on lit les deux derniers versets qui se terminent sur un appel au génocide. Pour certains il est connu comme le Psaume des assassins et « peu favorable à une prière chrétienne ».
Dans l'Église catholique romaine, depuis le Concile Vatican II, les trois derniers versets du psaume ont été retirés des livres liturgiques en raison de leur cruauté difficilement compatible avec le message évangélique. J’ai donc, comme on le fait souvent dans la récitation chrétienne du psaume, omis volontairement ces deux derniers versets pour ne retenir que le début.
 
Exilés sur une terre étrangère
Mais là encore le poème a souvent été mal interprété. Le début du poème a quelque chose de langoureux. C’est une évocation de la nostalgie d’exilés songeant à leur patrie. On les imagine étendus sous les arbres au bord de l’eau. Ils ont pendu leurs harpes aux branches. On pourrait imaginer que, si les harpes sont pendues aux arbres, c’est que les exilés se reposent. Mais la suite nous invite à porter un autre regard : les exilés ne sont pas en train de jouir des beautés de Babylone en pensant à la splendeur passée de leur capitale détruite...  Ils sont dans un camp et leurs géôliers leur demandent de chanter. "Or voici que nos geôliers nous demandaient des cantiques. Eux qui nous avaient dépouillés, ils nous réclamaient de la joie : « Donnez-nous des cantiques, des cantiques de Sion »". Bien évidemment ce verset fait immédiatement surgir des images de la shoah : la demande bien documentée de chanter, de danser des gardiens nazis. Mais l’auteur du psaume 137 ne prophétisait pas; il ne pouvait pas prévoir ce que seraient les camps nazis, ni la place de la musique nègre chez les blancs esclavagistes du sud des Etats-Unis. Mais il a décrit cette présence de la dérision, indice infaillible de la présence du mal. Il s’agit d’annihiler l’homme dans son identité et dans sa volonté. D’ailleurs, des esclaves sont-ils des hommes ? Il faut donc écarter définitivement une compréhension lénifiante du texte: déportation, sans doute, mais avec harpes, loisirs aux bords de l’eau, gentils gardiens demandant des chansons, etc. Cette interprétation ne tient pas au regard de la violence des versets suivants. 
La résistance : la grève des harpes
Dans une situation « aux extrêmes », l’essentiel est de protéger « le sanctuaire fermé de l’âme », « lieu de sa liberté ». Le texte passe du pluriel au singulier : du « nous » des deux premiers versets au « je » de ceux qui suivent. Ce changement de nombre marque le caractère irréductible d’une volonté soucieuse de défendre son intégrité. Soumis à l’injonction des geôliers, le psalmiste, en quelque sorte, rééquilibre la menace par deux imprécations envers soi-même. Il appelle sur sa propre tête, si jamais il cédait, ce qui ressemble fort à deux attaques cérébrales – l’une provoquant l’hémiplégie, l’autre l’aphasie. De même du changement de temps. Le passage de l’imparfait des versets 1 et 2 au présent des versets 4 et 5 illustre le caractère existentiel, à base d’autosuggestion, du choix de résister : il s’agit de s’y décider ici et maintenant. Et pourtant ce refus n’est pas exprimé. Aucun « non » n’est proféré. C’est plutôt le lecteur qui revient en arrière. Soudain il saisit le sens du verset 2 : les captifs ont pendu leurs harpes aux branches parce qu’ils ne veulent pas obtempérer. Ils font la grève des harpes
Le poète, comme le psalmiste, dit l’impossibilité de chanter en présence de l’oppresseur. Et surtout pas des chants religieux, des chants de Sion ! Car ces chants sont des louanges au Seigneur, et Sion bien plus qu’une colline de Palestine ! Jérusalem est personnifiée ; le psalmiste s’adresse à elle à la deuxième personne. Jérusalem, Sion, ...sont devenus le visage de Dieu et l’expression ultime de la foi d’Israël, la foi dans sa double acceptation de fidélité et de confiance  au Seigneur de l’Univers.
Ainsi s’exprime un homme. Il raconte une histoire et s’adressant à son Seigneur, il nous pose une énigme. L’énigme est celle du « lieu de sa liberté », car ce qu’il profère vient « du plus profond de lui » – et peut-être, car son chant est un psaume, « de plus profond que lui ».

Le psaume des assassins ?

Pour comprendre ces paroles terribles, il est bien sûr nécessaire de les remettre dans leur contexte. Babylone, comme tous les empires a laissé des traces... et si on évoque les splendeurs de Babylone, on ne saurait oublier que, comme tant d’autres et ce jusqu’à aujourd’hui, l’empire babylonnien s’est montré d’une brutalité et d’une sauvagerie extrême. Ainsi, au v. 8 et 9 les verbes de vengeance, aussi expressifs qu’agressifs : yo’hez, « écrasez », nipets, « fracassez,  répondent aux  ‘erou ‘erou ! – « rasez, rasez ! » –des Edomites, encourageant les Babylonniens en train de détruire Jérusalem. Difficile dans ce contexte de prêcher serainement la compréhension et l’amitié entre les peuples...  Ainsi, il importe de replacer cette parole terrible dans son contexte historique. Une erreur serait de la banaliser ; une autre erreur serait de conclure à la violence bornée du psalmiste.  Cette parole, en fait, est l’attente de la réalisation de la prophétie qui annonçait la fin de Babylone. Et qui rejoint les prières plus proche de nous de ceux qui espéraient la fin de l’empire hitlérien ou stalinen...

Par ailleurs nous ne devons pas oublier qu’il s’agit d’un poème et d’une imprécation, d’une malédiction ou d’une béatitude à l’envers qui reste dans le domaine du verbal.  On pense ici à certains hymnes - comme la marseillaise - qui n'ont rien à envier à ce Psaume. Mais le Psalmiste devait aussi connaître d'autres paroles comme celle du Deutéronome 32,35 : "A moi la vengeance et la rétribution dit le Seigneur"! et avec le temps il aurait peut-être pu ajouter comme dans la finale du Psaume 139 après des paroles de détestation des ennemis de Dieu (cf Ps 139,19-22), « Regarde si je suis sur une voie mauvaise,
et conduis-moi sur la voie de toujours »
Ps 139,24